«Aujourd’hui, un bon commercial ne cherche pas de travail. C’est nous qui allons le chercher !», affirme Éric Bohn, d’Euro Consulting Partners, cabinet recrutant de 30 à 40 % de commerciaux de tous niveaux. Et ses confrères spécialistes du recrutement d’acquiescer. Si les jeunes diplômés sont forcément sollicités, les commerciaux ayant de cinq à dix ans d’expérience reçoivent près d’une à trois propositions par mois.

De là à crier pénurie, il n’y a qu’un pas. Pour Johann Van Nieuwenhuyse, de Michael Page International, le secteur de l’industrie est le plus touché : «L’ingénieur commercial, qui a une double casquette, se fait rare ; les métiers qui nécessitent des compétences techniques, comme ceux liés à la plasturgie, sont très demandés.» Éric Bohn note, quant à lui, une «désaffection pour les postes de commerciaux dans la grande distribution».

La vente «one shot» disparaît
La pénurie pèse plus qu’on ne pourrait le croire sur les sociétés, car loin du cliché du simple « vendeur tchatcheur », le commercial est désormais un élément clé de l’entreprise. «Le métier a beaucoup évolué. Être commercial, ce n’est plus juste avoir du bagout», lance ¬Pierre-Étienne de Moustier, du cabinet Aims International France. «On parle désormais de gestion de la relation client » Soit plus de transversalité et de coordination. « La fonction s’est réellement étoffée ; la relation de “coup unique” avec le client a quasiment disparu», note Éric Bohn.

Pour Thierry Lach, d’El¬lisFairbank Paris, «le rapport au marché a lui aussi changé. Le commercial est là pour faire remonter l’information, repérer les tendances». «D’où sa capacité d’écoute, d’analyse, d’anticipation», poursuit Liliana Filipovic, de RH Partners Paris.

Les formations, type écoles de commerce et MBA, se sont donc adaptées à cette évolution, plaçant la recherche d’information au cœur de l’apprentissage. Et qui dit sophistication du métier dit davantage d’exigence dans le recrutement. «Nos clients sont demandeurs d’un niveau de formation de plus en plus élevé. Exemple : là où, avant, des entreprises de climatisation embauchaient des diplômés de BTS, elles exigent désormais des ingénieurs», note Éric Bohn.

Mais l’exigence de l’entreprise ne va pas sans effort de sa part. Car en temps de pénurie, «le rapport recruteur/recruté s’inverse presque», constate Liliana Filipovic… Et c’est au recruteur de « séduire » pour convaincre le candidat de le choisir ! Comment ? «En sachant bien exposer les perspectives de carrière possibles, le projet de l’entreprise », pense Hubert Levesque, de FutureStep. «Et cela commence dès le premier entretien téléphonique », renchérit Éric Bohn. «Le candidat est très sensible à la dynamique interne de l’entreprise, à l’ambiance. Ce n’est pas un hasard si les entreprises en bonne place dans le classement “Great place to work” sont submergées de candidatures», poursuit Hubert Levesque.

Aux cabinets de recrutement de faire un réel effort d’immersion dans l’entreprise, et de bien savoir la «vendre». «Nous devons aussi faire passer ce message à nos clients», lance Liliana Filipovic. Johann Van Nieuwenhuyse affirme que « Michael Page International fait en sorte d’expliquer à l’entreprise comment elle doit se présenter, comment elle doit exposer ses valeurs clés pour attirer les candidats les mieux appropriés à sa culture».
Surtout que le candidat des années 2000 arrive déjà à l’entretien surinformé, grâce aux moteurs de recherche, au site Web de l’entreprise, aux sites spécialisés.

«Chevilles qui enflent»
Perspectives de carrière, perspectives financières, ambiance : voici ce qu’un candidat cherchera avant tout à évaluer… sans oublier le lien à son n + 1. «Ce rapport hiérarchique direct est crucial. Si le feeling ne passe avec le n + 1, le commercial ne restera pas dans l’entreprise », dit Hubert Levesque, de Futurestep. Mais si vous êtes candidat, attention à la dérive du « job à la carte». Ou plus clairement, « aux chevilles qui enflent». Car même s’il a le privilège de pouvoir choisir un emploi parmi plusieurs offres, le futur commercial doit faire ses preuves. «Pour moi, il y a deux types de candidats, lance Pierre-Étienne de Moustier. Ceux qui ne voient l’entreprise que comme un moyen de faire évoluer leur carrière. Et ceux qui se demandent ce qu’ils peuvent apporter à l’entreprise. Ce sont ces derniers qui nous intéressent, et qui réussiront.»

Les commerciaux sont chouchoutés des entreprises
En période de crise, les grandes entreprises misent plus que jamais sur des vendeurs de talent et déploient une palette d'outils pour les attirer et les fidéliser.
Les clichés ont la vie dure. La fonction commerciale en sait quelque chose. "L'image des vendeurs reste caricaturale et négative, mais nous faisons tout pour la valoriser", affirme Jean Muller, patron du commerce et du développement de JCDecaux, vice-président du Club premier des dirigeants commerciaux de France.
Pourtant, contrairement aux PME, qui peinent à attirer les plus talentueux, les grands groupes n'ont pas trop à se plaindre. En période de crise, la fonction commerciale constitue une réserve d'emplois dans laquelle les jeunes n'hésitent pas à s'engouffrer. Ils savent bien qu'il y a là une porte d'entrée idéale pour accéder aux plus hauts postes de l'entreprise.
Carrefour supprime des postes au niveau du siège et des fonctions de support mais prévoit néanmoins de recruter 6 000 personnes en 2013. "Nous embauchons essentiellement pour des emplois en magasin. Nous séduisons des diplômés d'écoles de commerce aussi bien que d'ingénieurs. Il est vrai que nous proposons des CDI", affirme Fabienne Chaboche, directrice de l'Espace Emploi de Carrefour.
Même discours chez Leroy Merlin. "Nous embauchons tous les diplômés dont nous avons besoin au niveau commercial", soutient Marion Hochart, chargée des ressources humaines au siège. Pour se rendre attractives aux yeux des commerciaux, les grandes entreprises mettent les bouchées doubles. Management, formation, perspectives de carrière et rémunérations : elles multiplient les initiatives pour attirer les jeunes diplômés -dont elles sont friandes, car elles peuvent les former "à leur manière"- ou les moins jeunes, qui sont passionnés par leurs produits.

"Vendre, c'est très technique"
Entré chez Procter & Gamble en 2008, Emmanuel Simon, diplômé de l'Edhec, se voit proposer un poste au service marketing. "Au bout d'un mois et demi, j'ai demandé à travailler sur le terrain", explique-t-il. Chef de secteur, il organise ses visites, identifie les problématiques de ses clients, travaille avec les directeurs de magasin. Vingt mois plus tard, Il est responsable compte-clef Lidl puis, en février 2012, il participe au lancement des dentifrices Oral B en grande distribution. "En fait, la vente, c'est extrêmement technique. Il faut rester en veille car l'environnement concurrentiel ne cesse de se complexifier." Un défi intellectuel qui lui va bien.

Curiosité et l'intérêt pour les nouvelles technologies
"Sur le programme d'intégration et de formation Mach (Microsoft Academy for College Hires), nous recrutons des commerciaux de zéro à deux ans d'expérience. La curiosité et l'intérêt pour les nouvelles technologies font partie de nos critères de sélection", indique Sophie André, responsable du recrutement de Microsoft France.

"Un management commercial de proximité" Les grands groupes ont modifié leur style de management. Jean Muller s'y est attelé dès son arrivée chez JCDecaux, il y a six ans, en confiant de nouveaux objectifs au management intermédiaire. "Son rôle ne consiste plus seulement à encadrer les équipes, il doit aussi les coacher et à les faire progresser." Microsoft cultive aussi une forme de "proximité managériale", selon l'expression de Sophie André. Exit le management autoritaire, que refusent en bloc les nouvelles générations de commerciaux.

"La formation commerciale"
Ne pas lâcher les talents dans la nature -comme y sont contraintes, faute d'encadrement, beaucoup de PME- fait aussi partie des priorités. La formation commerciale est un véritable argument à l'embauche. Car être livré à soi-même fait peur. "Nos formations portent sur la connaissance de nos produits, mais aussi sur les techniques de négociation, de communication et de leadership. Elles répondent à une forte attente des commerciaux", explique Sophie André.
Idem chez Reckitt Benckiser, qui vend des produits d'entretien, d'hygiène et de soins. "Les responsables de secteur bénéficient d'un plan de formation et de développement individuel leur donnant une véritable connaissance de l'entreprise, de ses marchés et de ses données financières. Cela contribue à leur autonomie et leur permet de prendre des initiatives", précise Sylviane Charre, DRH pour l'Europe de l'Ouest.

Des carrières commerciales bien balisées
Pour les entreprises, séduire les commerciaux n'est qu'une première étape; ensuite, il faut les fidéliser. "Chez les vendeurs, le turnover est colossal. Ils ont toujours un oeil sur ce qui se passe ailleurs", rappelle Didier Perraudin, directeur associé du cabinet de recrutements Uptoo, spécialisé dans la fonction commerciale. Les évolutions de carrière et les rémunérations sont les deux leviers sur lesquels les entreprises peuvent jouer pour fidéliser les talents.
Elis, groupe spécialisé dans l'hygiène, confie d'emblée aux diplômés l'encadrement d'une petite équipe commerciale. Ce n'est qu'un début. "Avant 30 ans, les meilleurs sont amenés à gérer un centre de profit de 20 à 40 personnes dont le chiffre d'affaires peut varier de 4 à 10 millions d'euros. Dans le nord de la France, un ancien commercial de 31 ans dirige ainsi 5 centres de profit et 350 personnes", indique Didier Lachaud, DRH du groupe.
Les grandes entreprises créent des parcours spécifiques pour leurs vendeurs. "Certains deviennent responsables grand compte, d'autres supervisent des équipes. Nous avons la chance de disposer d'un réseau local et d'un réseau national, ce qui permet des évolutions de l'un vers l'autre. En outre, des passerelles existent vers d'autres métiers comme les relations avec les collectivités locales", explique Jean Muller.

Des perspectives de carrières également bien balisées
Chez Reckitt Benckiser, les perspectives de carrière sont également bien balisées. "Les commerciaux à potentiel évoluent tous les deux ou trois ans. Ils débutent comme responsables de secteur, passent au marketing enseigne puis deviennent négociateurs compte-clef après sept ou huit ans d'expérience", indique Sylviane Charre. Les perspectives de carrière à l'international font la différence. "Le métier de responsable grand compte comme l'ensemble de nos métiers peut s'exercer à l'international. Tous les ans, des commerciaux partent travailler à l'étranger", assure Sophie André de Microsoft.
Les groupes "travaillent" leurs rémunérations et s'efforcent de rester compétitifs, même si, comme le précise Jean Muller, "les perspectives d'évolution sont plus importantes que les rémunérations." Certaines entreprises, comme Microsoft, ont choisi de rémunérer leurs commerciaux un tiers au-dessus du marché. Leroy Merlin a, pour sa part, mis en place un ambitieux système de primes collectives et de variable. "En 2012, tous les commerciaux du magasin de Saint-Denis-Stade de France ont touché l'équivalent de 17 mois de salaires fixes", indique son directeur Sébastien Jonvel.
L'entreprise Reckitt Benckiser, qui se décrit elle-même comme "très orientée vers les résultats", intègre une part variable supérieure à la concurrence dans la rémunération totale. Celle-ci représente de 30 à 35% de la rémunération des jeunes diplômés. "Au fur et à mesure de l'évolution dans la fonction, cette part augmente", précise Sylviane Charre. Un challenge que les commerciaux acceptent volontiers, puisque dans cette entreprise, leur turnover culmine... à 5%.


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